REDÉFINIR LE TRAUMATISME

La libération de la parole autour des violences sexuelles a fait prendre conscience au grand public de la réalité et de la gravité du traumatisme. L’étymologie grecque du mot trauma signifie blessure. Cette blessure invisible enferme la victime dans une violence indicible, parfois toute une vie durant. Il est donc très important que tout un chacun puisse comprendre ce qui fait trauma.

Le traumatisme est souvent associé à la notion de Trouble de Stress Post Traumatique (TSPT), ce qui fait oublier une bonne partie de sa réalité clinique.

Le TSPT est un ensemble de symptômes par lesquels le sujet peut exprimer un vécu traumatique : flash back, cauchemars, troubles du sommeil, difficultés de concentrations, attaques de panique et reviviscences sont les plus connus.

Le traumatisme, quant à lui, est un concept plus large. Il signeune stratégie de survie face à un vécu d’inattendu, d’incompréhension et d’impuissance qui déborde le psychisme. Une expérience effrayante, une transgression des lois sociales, de la morale, des tabous, de la justice, l’attaque du sentiment de sécurité, des croyances, vont générer un sentiment d’effraction qui va dépasser les capacités d’adaptation du sujet. Ce n’est donc pas l’évènement en lui-même qui fait trauma, mais le vécu de l’évènement, toujours singulier.

Louis Crocq (1928 – 2022), psychiatre et docteur en psychologie, en donne cette définition : « Phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un évènement agressant ou menaçant pour la vie ou pour l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu qui y est exposé comme victime, comme témoin ou comme acteur. »(N. Chidiac, L. Crocq. Annales Médico Psychologiques, 2010)

Face à ce choc, le sujet va s’anesthésier, se dissocier, afin d’encapsuler la séquence traumatique dans une zone du cerveau inaccessible à la volonté : l’amygdale cérébrale(centre des émotions). La séquence reste « coincée » dans le corps et provoque toute une série de réactions que le sujet ne pourra pas forcément associer à ce qu’il a vécu.

C’est pour cela que les psychologues associent le traumatisme à « une chose en soi », un vécu sans inscription psychique, un non-évènement (R. Roussillon. Jalons et repère de la théorie psychanalytique du traumatisme, 2001)

Les sensations n’ont pas pu s’associer, se lier à un système de représentations propres au processus de mémorisation.

Le traumatisme est ainsi conservé jusqu’à ce qu’une situation propice à une élaboration, une transformation se présente, c’est l’après coup.

Face à cette stimulation qui reste « en l’état » dans une zone du cerveau qui correspond au siège des émotions, le sujet va subir de nombreuses désorganisations sans s’en rendre compte. En effet, le réseau cérébral impliqué dans la conscience de soi est profondément bouleversé, il va produire tout un ensemble de messages aberrants à l’origine de comportements qui peuvent rendent les victimes de violencesdifficiles à suivre.

Ce chaos physiologique ne sera pas sans conséquences sur l’axe immunitaire, l’axe neurodigestif, hormonal, le système nerveux autonome et central ainsi que sur les circuits de la douleur.

La neurophysiologie du traumatisme empêche le sujet d’inscrire la séquence dans le passé, elle reste active dans on corps sans qu’il puisse la penser et la traiter comme tout autre épisode de sa vie.

Il va ainsi superposer à son présent, toutes les traces de son/ses vécu(s) traumatique(s).

Le corps ne peut plus retrouver sa capacité à réguler(homéostasie, capacité du corps à rester à l’équilibre).

Le traumatisme va ainsi obliger le sujet à compenser (allostasie, effort pour maintenir artificiellement un état intérieur stable) et l’exposer à des maladies comme l’addictionet certains mécanismes inflammatoires tels que le diabète, l’obésité, des maladies auto-immunes, cardiovasculaires et gastro-intestinales (Boscarino, 2004 ; Quereshi et al., 2009).

Lorsque l’on pense le traumatisme il est donc fondamental de ne pas tomber dans le piège de traiter uniquement le symptôme : l’angoisse, la migraine, l’hyper-vigilance, la douleur, le malaise vagal, l’attaque de panique, le geste suicidaire, comme un indésirable à faire disparaître, mais bien de l’intégrer comme le résultat d’une construction.

La prise en charge du traumatisme doit passer par plusieurs étapes : repérer, nommer, expliquer et traiter.

Les victimes de violence se heurtent encore trop souvent aux mauvaises interprétations du cortège de symptômes qui accompagnent leur(s) traumatisme(s). C’est pour cela que Psycho-Droit s’est donné la mission de former et d’informer tous les acteurs du médico-social et du droit à la réalité du Trauma pour mieux accompagner, mieux défendre et mieux protéger.


Maud Gueriaux