L’enfant dans le cycle de la violence

24% des Français de plus de 18 ans estiment avoir été victimes de maltraitances graves dans leur enfance. Chaque année 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, dont 77% au sein de la famille (estimation CIIVISE). En 2021 13% des femmes et 5,5% des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance ( enquête INSERM).

 

Dans les Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, il est fréquent que les patients adultes douloureux chroniques rapportent des épisodes de violences durant l’enfance et l’adolescence :

  • Psychologiques : négligences, harcèlement, humiliations, témoin de violence
  • Physiques : mauvais traitements privations, coups
  • Sexuelles : confrontation à la pornographie, attouchements, agressions sexuelles, viols (souvent intra-familial).

Très souvent la plainte de l’enfant est inaudible. Elle est portée par des mots, des silences, des comportements que l’adulte ne reconnaît pas. Dans un rapport de l’inspection générale de la Justice, publié le 17 novembre 2019, il est indiqué que 80% des plaintes pour violence intrafamiliales sont classées sans suite.

Le classement sans suite est souvent motivé par un manque de preuves, des faits insuffisamment caractérisés.

Pourtant, « Il m’a piqué les fesses avec un aiguilles », « il m’a fait des chatouilles bizarres » sont autant de phrases qui signent une violence subie par l’enfant.

Le traumatisme ne frappe pas l’enfant de la même façon que l’adulte.

Selon l’idée d’Anna Freud (1895-1982), le trauma frappe deux fois : dans le réel (l’agression en elle-même) et dans la représentation du réel (comment je me raconte à moi-même cette agression : « c’est de ma faute je n’aurai pas dû lui parler », par exemple).

Chez l’enfant il frappe au moins trois fois : dans le réel, dans ce que ce réel fait vivre aux parents de l’enfant et dans la représentation que ce dernier se fait du réel.

C’est bien souvent à l’attitude des parents que l’enfant réalisera la gravité de ce qu’il a vécu. Et tout ce que les parents essaient de cacher (peur, tristesse, désarroi, regard fuyant), plonge l’enfant dans leur dépression et dans sa propre défaillance. Un regard absent, des yeux qui se détournent inscriront en lui une culpabilité immense.

L’enfant essaiera toujours de protéger ses parents. Face à leur détresse, il s’interroge et passe successivement du :

  • « Qu’est-ce que j’ai ? » à « Qu’est-ce que j’ai fait ? » Puis « Qu’est-ce que je leur ai fait ? » Et enfin « Qu’est-ce que je leur ai fait pour qu’ils aillent si mal ? »

L’enfant se vivra alors comme dangereux ou mauvais et cela interagira de façon significative sur sa parole et ses comportements.

Il est important de comprendre qu’un enfant qui n’a pas pu bénéficier, dans son rapport aux adultes, de relations lui permettant de se constituer les grandes fonctions psychiques capables de traiter les expériences, sera alors débordé par les émotions qu’elles suscitent.

Pour la justice il est parfois difficile de penser qu’un enfant peut-être plus heureux loin de son parent. Quand le parent se comporte de façon criminelle, l’enfant doit pouvoir sentir que d’autres adultes prendront la décision de le protéger en plaçant une distance absolue, dans le réel.

Il vaut mieux un parent fantasmé qu’un parent dangereux un week-end sur deux.

La recherche en neurologie tend d’ailleurs à montrer que les expériences de stress extrêmes répétées, non suivies d’expériences de réconfort, ont une incidence sur la constitution des fonctions cérébrales responsables de la reconnaissance des perceptions corporelles, de la gestion des émotions et de l’impulsivité (Lyons-Ruth et al., 1999 ; Cichett, Tucker, 1994 ; Heckman, Prix Nobel, 1999 ; Perry, 1999 ; Tremblay et coll, 2004).

Pour toutes ces raisons, Psycho-Droit pense qu’il est maintenant urgent de permettre à tous les professionnels du droit, du socio-éducatif, de la sécurité et de la santé, de comprendre les mécanismes du traumatisme et des dégâts très singuliers qu’il cause chez l’enfant et chez l’adolescent. Car sans une élaboration juste de l’adulte, l’enfant continuera à s’attribuer la faute d’un abus, d’une maltraitance ; il se culpabilisera ou éprouvera une honte réactionnelle. Le traumatisme se doublera alors d’une blessure narcissique qui à terme, pourra se révéler plus dommageable pour le développement de l’enfant.

 

Maud Gueriaux

Bonneville-Baruchel, E. (2010) Effets des traumatismes relationnels précoces chez l’enfant, dans La psychanalyse de l’enfant,53, 31-70.

Roussillon, R. (2002) Jalons et repère de la théorie psychanalytique du trauma psychique. Revue belge de psychanalyse, 40, 24-42.