Etat des violences sexuelles et sexistes en France
au cours de l’année 2022
Le 25 novembre 2017 était annoncé un portail de signalement des violences sexuelles et sexistes, portail inauguré le 27 novembre 2018 (accessible sur : https://arretonslesviolences.gouv.fr/).
Lorsque l’on parle des violences sexuelles et sexistes, il faut entendre toute forme de violences envers les femmes majeures ou mineures, que celles-ci soient au sein du couple, dans le milieu du cinéma, le milieu hospitalier ou encore de l’armée, dans le milieu du travail sans que cette liste soit limitative.
Cette grande problématique a été déclarée « cause nationale » par le Président de la République à la vue de la multiplication des féminicides et des atteintes faites aux femmes, que ces atteintes soient des violences physiques, des violences sexuelles, des outrages sexistes, des faits de harcèlement, et autres infractions recensées par le Code pénal.
Sont ensuite venues s’ajouter des mesures au titre du Grenelle de lutte contre les violences conjugales :
- La mise en place de la grille d’évaluation qui permet au travers d’un formulaire d’apprécier le niveau de danger encouru par une victime de violences,
- La remise systématique d’un document d’informations aux victimes,
- La création de postes d’intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie,
- Le conventionnement des forces de sécurité intérieure avec les établissements hospitaliers pour une meilleure prise en charge des victimes leur permettant de pouvoir déposer plainte au sein des hôpitaux sans avoir à se déplacer dans les locaux de la gendarmerie ou de la police,
- Une saisie systématique des armes en possession des auteurs de violences conjugales.
Le Grenelle mettait en œuvre également de nouveaux dispositifs :
- Un tableau d’accueil de confidentialité qui permettait une prise en charge des victimes avec des ronds de couleurs différentes indiquant au public se présentant au commissariat le motif de sa venue,
- La désignation de référent violences intrafamiliales,
- La composition de pôles psycho-sociaux pour une prise en charge des victimes avec deux plans de création successifs 2018 –2020 et 2021-2022.
Pour autant, force est de constater que le nombre de faits de violences à caractères sexuels et sexistes ne diminue pas. Ainsi, en 2022, 118 femmes sont décédées dans le cadre de violences conjugales et 267 femmes ont été victimes de tentatives d’homicides (« Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple pour l’année 2022 » réalisée par la Délégation aux Victimes, le ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer, publiée le 6 septembre 2023 et accessible ici.
Les chiffres sont assez vertigineux et on constate que l’institution judiciaire, avec tous les dispositifs qui sont mis en place, a parfois bien du mal à suivre ce rythme, que les personnels restent parfois non formés et que l’accueil de ces femmes dans les locaux de commissariat ou de gendarmerie pose encore problème.
Pour autant, force est aussi de constater que les juridictions se sont munies de nombreux outils pour protéger au mieux les victimes et que de nouveaux concepts, tels que la notion de contrôle coercitif, permettent parfois une protection des conséquences économiques engendrées par les violences.
I. Etat des lieux en chiffres
1. Les violences sexuelles et sexistes, les statistiques
La Lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes de mars 2024 (accessible ici ) fait état de 240 000 femmes victimes de violences commises par l’ex-partenaire en 2022. Cela représente 14% de plus qu’en 2021. 87 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles, soit une augmentation de 13% par rapport à l’année précédente.
Il y aurait également une augmentation des faits de suicide par suite du harcèlement par le conjoint. On a recensé ainsi 759 victimes.
Dans le cadre de ces violences, seules 15% des femmes ont déposé plainte et 5% ont établi des mains courantes.
28% des femmes victimes de violences physiques portent plainte ; là où seulement 16% des femmes victimes de violences sexuelles entament cette démarche.
Pourquoi ces femmes portent si peu plainte en matière de violences sexuelles ? Pour 40% d’entre elles il s’agit d’un manque de confiance envers les forces de sécurité, 25% pensent que « cela n’aurait servi à rien », 24% pensent que « ce n’était pas assez grave », et 16% pensent que « de toute façon, leur témoignage n’aurait pas été pris au sérieux par les forces de l’ordre ».
Il y a une augmentation de 129% des cas de violences sexuelles contre les femmes depuis 2016.
Quelle est dès lors la réponse qui peut être apportée, et quel a été le traitement judiciaire réservé à ces dossiers en 2022 ?
2. Les violences sexuelles et sexistes : le traitement judiciaire
Pas moins de 117 000 personnes ont été mises en cause dans des affaires de violences au sein du couple, 59 147 procédures ont été classées sans suite, 49 629 personnes mises en cause ont été poursuivies devant une juridiction, 37 823 ont été condamnées pour des crimes ou délits en lien avec des violences sexuelles ou sexistes.
84% de ces condamnations en 2022 portaient sur des violences avec ou sans Incapacité Temporaire Totale (ITT). 1 683 d’entre elles, soit 4,5%, concernaient des faits de nature sexuelle.
En ce qui concerne le profil des auteurs, on constate que 46% d’entre eux ont déjà des antécédents judiciaires.
Il convient également de noter que beaucoup de classements sans suite sont prononcés puisque, concernant les violences sexuelles, sur 49 480 personnes mises en cause, 36 386 affaires ont été classées sans suite et seulement 12 598 personnes ont été poursuivies.
Ce que l’on peut analyser de ces chiffres, c’est que la majorité des classements sans suite ne sont pas motivés et laissent la victime dans une situation de désarroi, ne comprenant pas pourquoi les faits dénoncés par elle n’ont pas été pris en compte par l’institution judiciaire.
On constate également que les femmes, en matière de violences sexuelles, n’ont que très peu confiance dans le recueil de leurs paroles par les forces de l’ordre, comme par l’autorité judiciaire.
Dans tous ces cas de violences, les femmes ne sont pas seules concernées et les enfants sont les premières victimes collatérales.
3. Les victimes collatérales
Les enfants font partie des premières victimes de ces violences dans le couple. Ainsi, 12 enfants ont été tués dans un contexte de violences au sein du couple en qualité de victime directe ou indirecte.
On constate que 8 enfants ont été tués en même temps que leur parent, 4 notamment dans le contexte de violences. 29 enfants étaient présents sans être témoins. 22 ont vu le féminicide et ce sont 11 enfants qui ont appelé les forces de l’ordre pour se protéger et pour protéger l’adulte mis en danger.
Aujourd’hui et au regard des différentes réformes législatives, les enfants sont considérés comme victimes au même titre que leur parent, même si cette protection semble parfois bien fragile
Pour autant un arrêt important de la Cour de Cassation (Civ. 1ère, 23 mai 2024, n°22-22.600) permet au juge qui délivre une ordonnance de protection en constatant la vraisemblance de faits de violence et le danger auquel est exposé un parent victime d’interdire au parent violent d’entrer en contact avec les enfants sans avoir à démontrer l’existence d’un danger encouru spécifiquement par les enfants.
II. Les mesures de protection : exemples de dispositifs
Les lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020 ont renforcé la protection des victimes de violences conjugales avec un élargissement de notion de victime de violences intra-familiales puisque, désormais, les enfants sont inclus dans cette définition.
Les outils juridiques se sont multipliés avec plus ou moins d’effectivité au regard des moyens donnés à la Justice.
1. Le bracelet anti–rapprochement
Depuis la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique dans les ressorts fixés par arrêté du Ministre de la Justice, le Juge aux affaires familiales a la possibilité d’ordonner le port d’un bracelet anti–rapprochement lorsqu’il prononce une ordonnance de protection avec interdiction pour la partie défenderesse d’entrer en contact avec la victime de violences (voir également l’article VI-III de la loi n°2010-769 du 09 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples, aux incidences de ces dernières sur les enfants).
Le Code pénal prévoit également ce dispositif de bracelet antirapprochement notamment dans le cadre d’un sursis probatoire. Le refus d’un tel dispositif par la personne condamnée équivaut alors à une violation de ses obligations et peut entraîner une révocation de celui-ci.
En amont de la procédure pénale, ce dispositif est aussi possible sous forme de contrôle judiciaire, permettant ainsi de s’assurer que la personne sera éloignée et ne pourra faire aucune pression sur la victime des violences.
D’autres moyens techniques existent tel que le téléphone grave danger qui dote une victime de violences d’un appareil téléphonique avec une touche d’urgence, permettant ainsi de prévenir les forces de l’ordre d’une mise en danger et d’un retour de l’auteur des violences.
2. Au civil, une ordonnance de protection revue et corrigée
La loi du 13 juin 2024 est venue renforcer le dispositif d’ordonnance de protection. Cette loi a été publiée au Journal Officiel le 14 juin 2024.
Cette réforme porte à 12 mois la durée initiale des peines prononcées au titre de l’ordonnance de protection. Auparavant le dispositif permettait une durée initiale de 6 mois avec prolongation possible si, entre-temps, une séparation en divorce ou une séparation de corps avait été déposée ou si le Juge aux affaires familiales avait été saisi d’une demande sur l’exercice de l’autorité parentale.
La loi rappelle d’ailleurs qu’une ordonnance de protection peut être délivrée même en l’absence de cohabitation du couple, l’appréciation du danger ne se faisant pas au regard de cette condition.
Le Juge aux affaires familiales peut autoriser la victime à dissimuler son adresse à l’auteur des violences, ce qui était déjà le cas dans les précédentes dispositions.
Il pourra également accorder à la victime la garde des animaux de compagnie du foyer, animaux qui peuvent être un moyen de pression et de chantage notamment sur les enfants.
La grande nouveauté de cette loi c’est qu’elle crée une ordonnance provisoire de protection.
Ainsi, cette ordonnance provisoire aura vocation à protéger les personnes en danger durant le délai de six jours qui est nécessaire au Juge aux affaires familiales pour se prononcer sur la demande d’ordonnance de protection classique et, avec l’accord de la personne en danger, ce Juge pourra saisir le Parquet.
L’ordonnance devra être délivrée sous 24 heures en cas de danger grave et imminent, avec la possibilité pour le Juge aux affaires familiales de prononcer plusieurs mesures : l’interdiction d’entrer en contact avec la ou les victimes, l’interdiction de paraître dans certains lieux, la suspension du droit de visite et d’hébergement, l’interdiction de détention d’une arme.
C’est d’ailleurs dans ce cadre que le juge pourra également faire droit à une demande de bracelet anti-rapprochement.
En cas de violations des obligations et interdictions prononcées par cette ordonnance de protection, la peine prévue est portée à 3 ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende.
III. Quelques pistes d’amélioration sur la prise en charge des victimes de violences sexuelles et sexistes
Une meilleure prise en charge passe nécessairement par une meilleure compréhension des traumatismes vécus par ces victimes de violences sexuelles et sexistes.
Trop peu de professionnels sont encore formés à recueillir correctement la parole de la victime et sont en mesure de prendre en charge des effets de la dissociation ou de l’expression de ce traumatisme lorsque la victime est entendue.
Ainsi, il est difficile pour un professionnel qui recueille une plainte de comprendre pourquoi une victime n’exprime pas certaines émotions ou certains faits tout simplement parce qu’elle a peur des représailles ou parce que, ne se sentant pas entendue, elle se refermera ou se retrouvera dans un état dissociatif.
Il faut donc une meilleure formation de tous les professionnels des secteurs intervenant auprès de victimes familiales et intra-familiales dans le cas de violences.
Il est à noter que la majorité des victimes venant déposer plainte sont des femmes et que, le plus souvent, elles sont avec des enfants, ce qui inclut qu’elles ne peuvent traiter leur propre traumatisme alors même qu’elles doivent assurer la prise en charge et la protection de leurs enfants, ce qui parfois complexifie le recueil de leur parole.
A la vue des chiffres rapportés, le manque de confiance dans les institutions renvoie notamment à la nécessité que les classements sans suite soient motivés et ne se réfèrent plus simplement à des codes ou à une infraction insuffisamment caractérisée, et ce conformément à l’article 40-2 du Code de procédure pénale qui dispose que « le Procureur de la République doit aviser les plaignants et les victimes de sa décision de classer en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunités qui justifient un tel classement ».
Si depuis début janvier 2024 les victimes peuvent se déplacer en commissariat ou à la gendarmerie pour pouvoir déposer plainte avec un avocat, il semble que le législateur ait simplement oublié un point qui paraît crucial, à savoir la prise en charge des honoraires de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle puisque, aujourd’hui, seules les victimes ayant les moyens de régler les honoraires de leur conseil peuvent déposer plainte en ayant accès à un avocat, créant ainsi une distorsion avec des femmes qui sont en situation t de violences économiques.
Enfin, et parce que c’est là le point essentiel, il faut des référents dans chaque unité de gendarmerie, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui puisque tout n’est pas déployé de la même façon sur le territoire national, de telle façon qu’il y ait une réelle prise en charge et un réel accueil de la parole des victimes.
Il n’est pas rare encore aujourd’hui de constater que des victimes se déplacent au commissariat, pour porter plainte 20 fois, 25 fois, sans jamais avoir été entendues, ou vont ressortir du commissariat en étant totalement détruites et pensant qu’elles n’ont pas fait ce qu’il fallait.
Il faut toutefois noter que le décret n°2023-1077 du 23 novembre 2023 a institué, depuis le 1erjanvier 2024, des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales (V.I.F.) au sein des tribunaux judiciaires et des cours d’appel permettant des comités de pilotage et une unification des procédures au soutien des victimes.
La Cour d’Appel de Poitiers organise des audiences communes entre juges civils et juges pénal pour permettre une cohérence des décisions et une meilleure prise en charge des situations de violences intrafamiliales. D’autres juridictions s’organisent pour une action groupée et un prise en charge globale des violences intra familiales ;
Des comités de pilotage sont ainsi présents dans chaque Pôle aux fins d’une meilleure coordination des actions.
Le Président du Tribunal Judiciaire de Sens, par une décision en date du 16 avril 2024, s’est illustré en annulant un contrat sur la base de la notion de contrôle coercitif estimant que la femme victime de violence n’avait pu contracter librement.
Les juridictions font ainsi preuve d’audace et se mobilisent autant qu’elles le peuvent dès lors que les moyens leur en sont donnés.
Certes tout n’est pas parfait et un il reste encore beaucoup à faire dans l’accompagnement des traumatismes.
C’est en cela que la formation proposée par Psycho-Droit paraît importante et incontournable pour permettre de former au mieux ces différents intervenants pour comprendre ce qu’est le traumatisme et utiliser la sémantique propre à celui-ci, mais surtout pour établir une réelle stratégie de défense et de soutien des victimes majeures comme mineures.
Maitre Delphine Girard